Si Albert Marcœur a un sens d'aiguisé, c'est bien celui-là, le sens pratique. Cela paraît peu de le dire comme ça, mais, oui, c'est ça. Créé aux Bouffes du Nord en mai, redéployé au Théâtre du Vieux Saint Étienne en ce mois de juillet, "Si oui, oui. Sinon, non.", repose précisément sur ce sens : pratique.
Expliquons-nous. L'avant-dernier projet, né avec l'album Travaux Pratiques, avec ses importants moyens et treize musiciens, devenait difficile à programmer (après 23 concerts donnés tout de même). C'est à l'initiative du Quatuor Béla qu'il trouve une suite plus resserrée, mais pas moins passionnante. Car, ils ont beau être cinq devant nous, ils sonnent comme dix, au moins. Cela n'a rien d'un prétexte. Le quatuor à cordes donne aussi de la voix, Albert Marcœur feuillette un album photos, écrit, joue les percussionnistes. Dit comme ça, c'est un peu plat. Le relief naît du soucis du détail pratique, alors il faut détailler.
Lorsque les membres du Quatuor Béla jouent de la voix, comme Albert, ils baillent, entonnent, assurent des choeurs à la Frère Jean des Entommeures, pas tout à fait rabelaisiens, mais burlesques. Le directeur de conservatoire d'antan de Marcœur, à Dijon, lui asséna, quitte à l'assommer : « Ici, pas de gaudriole », comme Marcœur l'a rappelé à L'Atelier du Son sur France Culture. Albert Marcœur n'a rien d'un revanchard, quoique, mais cela fait quelques lustres qu'il fait de la « gaudriole », de l'humour en musique, où le quotidien fait irruption de manière quasiment sociologique, sans le trop grand sérieux des sociologues, tout en posant des questions très sérieuses, mine de rien.
Autre détail, lorsque Albert Marcœur feuillette un album photos, c'est son « moi », pour ne pas dire son « surmoi » qui jaillit, mettant en scène le bruit des pages qu'il tourne, le regard qu'il pose sur quelques clichés venus de son passé, à demi-mots, mais où le «moi» rit d'être au centre de la scène, ici, au Théâtre du Vieux Saint Étienne. Il sait dire modestement et finement qu'il sent qu'il est au centre, mais anti-star-system.
Lorsque Albert Marcœur écrit sur scène, c'est plus qu'une mise en scène, c'est une question de diction, afin de donner le ton à la "chanson". Il lui faut écrire et se lire en train d'écrire pour exactement trouver ce ton. Pas le choix, pas possible autrement. Lorsque Albert Marcœur joue les percussionnistes, il le fait avec précision en jouant de cette table de bois devant lui depuis le début du concert. Il ne tape pas du poing sur la table, il joue de la table comme d'au moins trois toms.
Auront ici été précisés seulement quelques petits détails pratiques. L'heure et demi de "Si oui, oui. Sinon, non." en regorge et passe à une vitesse folle. Nous sommes justement dans un théâtre, de surcroît une ancienne église, il y a une mise en scène, certaine. On n'aura pas beaucoup écrit ici sur le Quatuor Béla, justement peut-être parce qu'il porte parfaitement l'Albert, faisant virevolter des notes et des assonances aussi vite que les textes du type au centre dansent, digressent, cliquètent et prolifèrent. Alors, un conseil, ne restez pas ici devant votre écran. Courrez ! Courrez aller réserver votre place pour l'un des prochains concerts d'Albert Marcœur & Le Quatuor Béla, les 15 et 16 novembre 2013 à l'Atelier du Plateau à Paris (20e), le 30 novembre 2013 à Saint-Brieuc. Quoi ? Vous êtes encore là ? Partez, vous dis-je ! Courrez ! Il faut y aller !