PIERRE BASTIEN

Les Premières machines 1968-1988 (Musea / Gazul, 2006)

Pierre Bastien : Les Premières machines 1968-1988

Volume après volume, en exhumant des archives enregistrées, inédites ou devenues introuvables, la collection Les Zut-O-Pistes s'installe comme un point de ralliement pour les adeptes de mondes sonores nés de l'imaginaire de musiciens souvent autodidactes. D'autant plus que chaque volume bénéficie d'un dépliant très complet incluant une discographie détaillée et des textes de nature encyclopédique et ludique.

Lorsque l'idée vient à poindre dans l'esprit d'un homme de créer des mécaniques sonores pour avoir son propre orchestre de poche, il se fait rapidement qualifier de doux rêveur. Cet homme, Pierre Bastien, a pourtant fait preuve d'une détermination très concrète pour mener à bien son projet, son utopie, et de surcroît en préservant cette part onirique qui fait le charme et l'originalité de son monde. Il a commencé ses expérimentations dès 1968, puis s'est consacré à des études littéraires. Il revient pleinement à la musique en 1974 avec le Nu Creative Methods, un duo de multi-instrumentistes touche-à-tout avec Bernard Pruvost. Il joue de divers instruments dans le cadre de projets avec Jac Berrocal et Pascal Comelade. Pierre Bastien inaugure publiquement ses premières machines en 1977, lors du Sens Music Meeting de Jac Berrocal. Accueilli plutôt froidement, l'orchestre de poche est remisé au placard jusqu'en 1983.

Avec le premier titre de cette compilation, un inédit datant de 1968, Pierre Bastien rejoint d'emblée Harry Partch, un autre éminent inventeur d'instruments. Il joue sur les dissonances à l'aide d'ustensiles de cuisine, en l'occurence une casserole et une poêle à paella combinées à un métronome. Cette utilisation de sonorités d'instruments non conventionnels, ou exotiques sur plusieurs titres, évoque les musiques non-occidentales, celles qui emploient une gamme non tempérée. L'esprit du jazz habite aussi bon nombre de titres de cette compilation. Pierre Bastien donne ainsi sur son premier album Mecanium, en 1987, une sublime version du thème Caravan. Pierre Bastien est un jazzman ignoré qui selon les mots de Dominique Grimaud "donne quelque chose comme une version Dada de la musique de Louis Amstrong". La note bleue se place dans un interstice difficilement retranscrit par le solfège. De même, ses rythmes répétitifs n'ont pas la rigueur implaccable d'une machine trop bien huilée. Ils épousent les irrégularités physiques des objets employés. Dans leur construction l'approche intuitive et empirique l'a emporté sur les calculs théoriques. Le hasard a non seulement sa place, mais il est le substrat insaisissable de la musique de Pierre Bastien.

© Eric Deshayes - neospheres.org