David Bowie s'est offert le luxe, si l'on ose dire, de marquer la fin de sa discographie d'une étoile noire étincelante comme une peinture de Pierre Soulages. Il ne savait pas sa fin si proche, le 10 janvier 2016, deux jours après la publication de Blackstar, cet album sonne désormais comme une mise en scène funeste.
Belle sortie. Il faut remonter à Outside (1995) et Earthling (1997) pour trouver des albums aussi captivants de sa part. Ils étaient fortement marqués par l'influence de Nine Inch Nails pour le premier et par le contexte technoïde pour le second. Peu comparable, Blackstar brille par son mélange de rock, de jazz, d'une pointe de rythmes électro et de beaucoup de voix plaintives. Rendu public avec sa vidéo cosmico-cryptique en décembre 2015, le titre de près de dix minutes «Blackstar» est pratiquement un adagio rock experimental et est, de loin, le plus ambitieux de David Bowie depuis vingt ans. Il imbrique rythmes casse-tête, chant dépressif, sax free jazz, section de cuivre et cordes symphoniques synthétiques. Autre grand titre « Lazarus » est illustré d'une vidéo explicitement morbide : le chanteur est sur un lit, que l'on imagine d'hôpital, et chante "Look up here, I'm in heaven". Musicalement « Lazarus » évoque fortement The Cure rencontrant une section de cuivres. Très bon aussi, le slow pour zombies « Girl Loves Me », son texte chanté comme une comptine, sa rythmique binaire plombée et ses nappes synthétiques répondant aux échos de voix de Bowie. Le très beau encore « Dollar Days » commence comme « Overjoyed » de Stevie Wonder sous anxiolytiques, David Bowie rajoutant une couche de pathos en chantant "I'm Trying To / I'm Dying To" accompagné par des chorus de sax et de guitare électrique. L'album se termine par « I Can't Give Everything Away », une chanson rappelant la poignée de titres très réussis publiés sur Heathen en 2002.
La mauvaise idée de Blackstar est d'y avoir placé des versions différentes des titres du single «Sue (Or In A Season Of Crime)» / « 'Tis A Pity She Was A Whore » publié fin 2014 en parallèle à la compilation best of Nothing As Changed. La version de «Sue (Or In A Season Of Crime)» sur le single propose des arrangements de cuivres largement inspirés de ceux de Charles Mingus, que David Bowie écoutait déjà à ses tous débuts (de saxophoniste, avant même de chanter). "Sue" fait par ailleurs référence à Sue Mingus, la veuve de Charles Mingus. Figure sur l'album une version moins intéressante, sans les parties de cuivres mingusiens et avec un final plus chaotique de sax et stridences de guitare. De même, « 'Tis A Pity She Was A Whore» rappelle sur la version single l'ambiance saturée d'Outside. Sur Blackstar ce titre devient un rock un peu lourd comme Bowie en a beaucoup servis, bien que la rythmique qui cogne finit par abdiquer face aux sax hurleurs. D'un intérêt moindre, il est malheureusement placé entre les sommets du disque que sont «Blackstar» et «Lazarus», deux titres à placer parmi les meilleurs que David Bowie a enregistrés.