"Kongerei", ce chant diphonique tuva, en ouverture de l'album Night Prayers du Kronos Quartet, me soulève toujours autant l'âme et le coeur. 3'40'' trop courtes, qui font que, atteint son extinction, j'appuie sur "replay" pour ressentir à nouveau ce soulèvement indéfinissable.
Et je décolle en boucle dans un espace-temps parallèle. Une forme d'absolu dans la pure sensation du son, de voix gutturales, diphoniques. Le parallélisme incarné dans les possibilités insensées de l'appareil vocal humain.
Night Prayers, 1994. 30 ans, un peu moins peut-être. Je ne sais plus exactement à quel instant j'ai écouté pour la première fois cet album, l'un des meilleurs du Kronos. Le temps. Nul n'est immortel, à part quelques pharaons momifiés, accompagnés par des papyrus, de "Livre pour sortir au jour", expression autrement plus exacte que "Livre des morts", un contresens.
Le temps, l'immortalité, le parallélisme, Night Prayers revisite des compositions traditionnelles et contemporaines d'Europe de l'Est. Le puissant Lacrymosa du compositeur ouzbèke Dimitri Yanov-Yanovsky est porté par la voix de la soprano Dawn Upshaw. La pièce de vingt minutes Mugam Sayagi est signée par la compositrice Franghiz Ali-Zadeh d'Azerbaïdjan. Le Kronos Quartet l'a encouragée à s'inspirer de la tradition musicale azérie du Mugham.
Le Quartet N°4 est composé par Sofia Gubaidulina, ancienne élève de Dmitri Chostakovitch. Sur A Cool Wind Is Blowing de Tigran Tahmizyan, c'est l'association des cordes du quatuor avec le duduk de Djivan Gasparian qui ensorcelle. De même, le vénérable ténor et cantor Misha Alexandrovich, alors âgé de 79 ans, apporte une profondeur mystique à K'vakarat composé par Osvaldo Golijov.
L'album se referme sur une composition du géorgien Giya Kancheli, qui donne son titre à l'album : Night Prayers, aux circonvolutions climatiques, ténébreuses, troublées de brefs accès de nervosité, comme une nuit de sommeil aux rêves agités.