Cet album de Maajun a bien failli ne jamais sortir. Il a été publié par Vogue en 1971. Jamais réédité depuis, il refait enfin surface chez Souffle Continu, disquaire et label parisien, qui mène depuis quelques années une belle politique éditoriale dans le domaine de l'underground français des années 70. Vivre La Mort Du Vieux Monde participait de l'élan de refondation des canons esthétiques de l'époque post-soixante-huitarde. Maajun faisait partie de cette frange de la scène française, pas si marginale à ce moment-là, qui jetait des pavés dans la marre politique, économique et musicale. L'époque était celle de la remise en question de tous les formats et de l'industrie musicale elle-même. D'où les réticences qu'eurent les Disques Vogue à le publier à l"époque.
Ici, nous évoquerons seulement brièvement l'historique. Il est détaillé dans le livret du disque, sur le site de Souffle Continu et dans l'ouvrage L'Underground musical en France (en pages 115-116). Si vous farfouillez chez les bouquinistes, vous pourrez aussi trouver un exemplaire de Musique et vie quotidienne (Mame, 1973), dirigé Paul Beaud et Alfred Willener. Cet ouvrage de sociologie contient un chapitre complet sur Maajun, "La pop sauvage", écrit par Alain Roux, l'un des membres du Maajun.
Ses musiciens ont auparavant connu des expériences dans les domaines du blues et du free jazz. Ils forment Maajun en 1969. Ouverts à toutes les influences pour élargir leurs moyens d'expressions, ils sont tous multi-instrumentistes et contribuent tous au chant. Alain Roux joue de la flûte, du saxophone, de l'harmonica, des percussions. Cyril Lefebvre est déjà un féru aux mains agiles de guitare acoustique, de douze cordes, de steel guitar, de banjo. Roger Scaglia apporte des sonorités rock de guitare électrique, des percussions. Jean-Pierre Arnoux est à la batterie, au saxophone et tablas. JeanLouis Lefebvre fait vibrer les cordes de basse, de violon, de guitare et est le principal auteur des textes. Le nom Maajun marque une ouverture vers les cultures du monde, vers la tradition hindoue notamment.
La première motivation est à la fois politique et esthétique. Les musiciens de Maajun sont engagés dans une démarche de remise en cause du fonctionnement du monde du spectacle. Ils luttent contre la marchandisation de la pop et une forme trop répandue de rhythm 'n' blues édulcoré. La radicalisation est au sens propre, un retour aux racines, celles du blues, combinée à une ouverture à d'autres cultures, d'autres thèmes. Ils veulent exprimer ce qu'il vivent socialement en tant que groupe pop. Ils sont militants de mouvements politiques de gauche, d'extrême-gauche même. La possibilité d'enregistrer un album pour l'une des grandes maisons de disques du moment, les Disques Vogue, arrive au printemps 1970. L'idée n'est pas contradictoire. Pourquoi ne pas exprimer et diffuser ses idées contestataires par les canaux mêmes qu'ils remettent en question ? Les morceaux ont été répétés puis enregistrés en une seule prise pour la musique, en plusieurs prises pour les voix.
Une fois le concept-album enregistré, Vogue découvre leurs formes musicales inhabituelles, rock, free-jazz, cajun..., et leurs textes fortement politisés. Le groupe entend bien aussi ne donner que des concerts gratuits. Le tout limite sérieusement le retour financier attendu par la maison de disques. Elle ne veut plus le publier. Dans les mois suivants, Maajun milite pour la sortie du disque. Maajun milite aussi pour la gratuité des festivals et des concerts avec le F.L.I.P., la Force de Libération et d'Intervention Pop. Le groupe est ainsi signataire, avec le groupe Komintern, du manifeste du FLIP, diffusé dans la presse underground en octobre 1970.
Pratiquement sous la contrainte, Vogue sort finalement Vivre La Mort Du Vieux Monde au début de l'année 1971, quelques semaines seulement avant la séparation du groupe. Jean-Louis Lefebvre et Jean-Pierre Arnoux ne souhaitaient plus cette implication politique trop forte et continueront sous le nom de Mahjun.
Si Vivre La Mort Du Vieux Monde n'est pas une réussite artistique époustouflante, il demeure un disque d'une envergure historique, le fruit d'une époque, où le militantisme et l'expression musicale se mariaient avec un humour corrosif. Il est le témoin d'une époque et pour lequel on ne peut qu'avoir une certaine affection.