Les mégapoles sont le résultat d'une forte concentration de l'activité humaine, des lieux de conurbation, de brassage culturel et de synergies pour des populations disparates. L'effet kaléidoscopique joue ici à plein régime. En adoptant une approche visuelle et sonore Mégapoles donne à entendre et à voir des fragments de ce bouillonnement, eux-mêmes retravaillés et recomposés. Ce réagencement d'éléments furtifs donne naissance à un sampling d'images et de sons colorés et lumineux.
La partie musicale (éditée seule sur Naïve en 1999) est le fruit du collectage par Bruno Letort et Stephan Rodesco de sons dans les rues de New York, Londres, Paris, Moscou, Bombay et Tokyo. On pourrait s'attendre à une musique répétitive et technoïde, à l'instar du prodigieux City Life de Steve Reich. On se retrouve en fait plutôt sur le terrain d'une musique un peu plus acoustique, mais tout aussi saisissante. Tel le peintre qui apporte sa vision du monde à travers son propre style, Bruno Letort et Stephan Rodesco (ainsi que Dj Nem et Bruno Riou-Maillard sur deux morceaux) réutilisent leurs échantillons sonores comme des éléments de leur palette musicale. Ils composent pour les cordes du Cube Quartet et divers autres instruments (flûte, clarinette, violon, violoncelle, guitare, contrebasse, percussions), des voix et des sons électroniques.
Comme une course entre deux métros les pièces, d'environ une minute chacune, exposent de courts motifs mélodiques, rapides et dynamiques. Elles évoquent tantôt la musique d'Edgar Varèse, tantôt celle d'In The Mood for Love de Wong Kar Waï ou encore des thèmes signés Lalo Schifrin, un maître dans la mise en musique de polars urbains. La partie visuelle, le livre lui-même peut se parcourir d'un bout à l'autre ou, surtout, en picorant ça et là, en parcourant les pages par passages successifs comme on trace un parcours quotidien, similaire mais jamais totalement identique, variant en fonction des personnes qui partagent le voyage, des affiches, du temps, de la luminosité des lieux... Les artistes (Isao Tanaka, July Heart, Valery Anisimov, Charles René et Fayçal Ben Arbia) apportent les éléments de cet itinéraire imaginaire, à travers des photos en noir et blanc et en couleur, jouant sur les temps d'obturation, des tags, des montages d'images. Les textes de Véronique Sauger apportent d'autres flashs, des pensées, telle notre voix intérieure dans ces trajets en solitaire.