Lancé par Tom Welsh, qui a supervisé les albums de Terry Riley sur New Albion, le label de San Francisco Elision Fields rassemble sur ce disque deux musiques de films composées par Terry Riley, jusqu'ici inédites au format cd. La première, Happy Ending, fut enregistrée en mars / avril 1972 (et édité par Warner), au Strawberry Studio du Château d'Hérouville, pour le film de Joël Santoni Les Yeux Fermés. Selon Terry Riley lui-même "le film est plutôt statique, et se termine par un long plan séquence de 20 minutes. Très intéressant, sa redécouverte assoirait son statut de film culte". Cette structure narrative permet à Terry Riley de déployer deux mélopées synthétiques de 18 minutes dans la lignée de A Rainbow in Curved Air (1969) et Persian Surgery Dervishes (1972), des mélodies en arpège, répétitives et tournoyantes.
La seconde partie, Lifespan (Le Secret de La Vie en V.F.), publiée par Philips en 1974, fut enregistrée en Hollande pour une réalisation de Sandy et Alexander Whitelaw, un film aux atmosphères étranges dans lequel Klaus Kinski tenait le rôle d'un docteur (halluciné cela va de soi) découvrant le secret de la vie éternelle. Le film a été édité en DVD aux Etats-Unis, en 2006, par Mondo Macabro. Sur Lifespan Terry Riley s'exprime dans un même registre synthétique et hypnotique que pour Les Yeux Fermés, mais il joue cette fois beaucoup plus le jeu de la bande originale de film. Les morceaux sont plus courts, cinq pièces sur les sept durent de deux à trois minutes. Un thème plusieurs fois repris tient lieu de véritable fil conducteur, de pivot de toute BO qui se respecte. Terry Riley s'est manifestement fait plaisir et signe par la même occasion l'un de ses albums les plus accessibles.
Sur In The Summer il construit une fabuleuse envolée psychédélique, une adaptation très occidentalisée d'un raga, où l'électronique est accompagnée en arrière-plan par un chant à mi-chemin entre tradition indienne et rock planant. Sur The Oldtimer le jeu de clavier inhabituel apparaît comme un clin d'il au soul jazz des années 50, époque à laquelle l'orgue Hammond était roi.
Elision Fields s'est surtout attaché pour cette édition cd à donner une seconde vie à la musique elle-même, remasterisant les albums à partir des bandes analogiques d'origine. N'en déplaise aux inconditionnels du microsillon, la dynamique sonore des deux pièces qui constituent Les Yeux fermés est largement supérieure à l'édition vinyle. On regrettera cependant qu'un visuel d'images de synthèse, fort joli au demeurant, ait pris la place des pochettes d'origine qui avaient pourtant pour elles le statut de documents historiques d'époque. De même, aucun livret ne vient contextualiser ces compositions, hormis les informations techniques de rigueur. On notera au passage qu'Igor Wakhevitch, le compositeur aux opéras électroacoustiques fleuves, et Dominique Blanc-Francard, sont crédités sur Les Yeux Fermés, l'un à la production, l'autre à l'ingénierie sonore. Malgré ces lacunes extra-musicales, ce cd est un incontournable de la discographie de Terry Riley, rendant enfin disponible des pièces rares, pour ne pas dire cultes, qu'il n'était possible de trouver qu'en farfouillant dans les bacs des conventions du disque. Si la musique de Les Yeux Fermés apparaît comme un condensé du Terry Riley des Seventies, organiste marathonien, Lifespan est une uvre atypique, à laquelle Atlantis Nath fait aujourd'hui écho. Ces deux facettes combleront autant les complétistes que les néophytes en quête d'une initiation à l'uvre de Riley.