À l'heure où j'écris la tour de douze étages où j'ai vécu n'existe plus. À l'heure où j'écris une autre tour revient grattouiller les nuages : Soixante Étages, résurgence du groupe formé en 1988 sur le front Est de la France free-rock. La genèse de ce septième album s'étale de décembre 2006 à décembre 2010, mois où Captain Beefheart, maître-pêcheur de Trout Mask Replica, nous a quitté. L'album sonne donc fatalement comme un hommage à Beefheart.
Du Soixante Étages des débuts subsiste Dominique Répécaud qui assure la continuité historique, tandis que Bruno Fleurence est là depuis en 2002. Il y a surtout une continuité dans la congrégation d'artistes, ici avec la participation de la comédienne Heidi Brouzeng, directrice artistique de l'Escabelle Compagnie Théâtrale. Le verbe est anglais, français ou allemand. Heidi Brouzeng emprunte des textes à Emily Dickinson, Georges Henein, Robert Walser et Ossip Mandelstam. Le guitariste Hervé Gudin, membre du collectif Art Sonic et des groupes Wiwili et Jagger Naut, participe également à l'album. Au milieu des guitares, sons enregistrés, trompettes diverses, clarinette et des mots, l'accordéon de Bruno Fleurence souffle des drones ou se fait quasi cajun.
Les guitares électriques et acoustiques désarticulent et réarticulent un blues primal à partir de compositions pour moitié de Bruno Fleurence, et de quelques reprises : "Party of Special - Things to do" de Don Van Vliet, "The Torture Never Stops" de Frank Zappa et "The Blank Invasion of Schizophonics" de Pascal Comelade. Le tout est beau, poétique, expérimental et aussi sérieux que peut l'être le texte écrit pour le livret par Henri Jules Julien : "Dino et Bruno sont dans un bateau. Le blues tombe à l'eau. Ils y plongent, avec leur masque de truite...".