Terry Riley. Figure libre de Jean-Louis Tallon, aux éditions Le mot et le reste, vient combler un vide interstellaire.
Il n'y avait pas d'ouvrage édité en français consacré à Terry Riley, musicien-compositeur majeur du XXe siècle.
L'humble Terry Riley n'est pas une célébrité connue du grand public. Il bénéficie d'une stature de gourou atypique, de parrain admiré dans le milieu des musiques alternatives, expérimentales et psychédéliques. Ce déjà grand cercle d'initiés peut, à la lecture de Terry Riley. Figure libre de Jean-Louis Tallon, mieux appréhender l'apport incommensurable de Terry Riley, et de son camarade La Monte Young, dans leur nouvelle approche de ce que nous nommons "musique".
La lecture de cet ouvrage enrichit très largement nos connaissances de cette nouvelle approche de la musique, sensationnelle, au contact direct de l'Orient, grâce à Pandit Pran Nath. Ainsi, « Riley prend l'habitude de laisser tourner les enregistrements de Pandit Pran Nath durant ses séances de yoga pour s'imprégner de la magie que tissent son chant et sa musique » (page 143).
Un bref résumé de l'influence de cette nouvelle approche de la musique est nécessaire ici, et ne fera qu'appuyer l'intérêt essentiel de Terry Riley. Figure libre de Jean-Louis Tallon. Sa lecture nous fait à nouveau ressentir cette magie, et vient substantiellement augmenter nos connaissances sur la biographie de Terry Riley et sur son apport aux ondes sinusoïdales chez Soft Machine, Manuel Göttsching d'Ashra Temple, Kraftwerk et Mike Oldfield.
Juste un exemple, c'est un fait historique, sans A Rainbow in Curved Air de Terry Riley (publié sur CBS en 1969), Mike Oldfield n'aurait pas créé le hit Tubular Bells, album écoulé, à ce jour, à 15 millions d'exemplaires. Tubular Bells est la source financière de Virgin Records, qui aura permis à son fondateur Richard Branson (et son staff) de publier nombre d'albums faramineux dans les années 1970 et 1980 et, bien plus tard, en 2021, de permettre audit Richard Branson de s'envoyer dans la stratosphère avec Virgin Galactic. Mike Oldfield n'a pas "cassé le code", révélé par Terry Riley, il l'a juste repris à son compte.
Bref, qui connaît les profondeurs de l'histoire de la musique du XXè siècle, sait que le nom de Terry Riley doit être minutieusement inscrit sur une tablette d'argile encore humide, avant de la faire sécher au soleil.
De nombreux entretiens, articles dans la presse, des émissions de radio existent. Il y a eu le travail de pionnier de Daniel Caux, concernant entre autres le minimalisme, dans la revue L'art vivant, (textes republiés dans Le silence, les couleurs du prisme...). Notons aussi le précieux recueil d'entretiens Nouvelle musique de Stéphane Lelong (publié en 1996). Jean-Louis Tallon porte à notre connaissance le mémoire de recherche de Marie Dernoncourt A la croisée des arts : autour du discours musical de Terry Riley dans les années 1960 de 2014.
Dès les premières pages, ce sont ces qualités constatées à la lecture de Terry Riley. Figure libre, Jean-Louis Tallon prend appui sur une documentation conséquente, et apporte aussi des éléments inédits. Jean-Louis Tallon s'est entretenu à plusieurs reprises avec Terry Riley et son proche entourage (sa fille Colleen Riley et son fils, Gyan Riley) entre 2021 et 2025. Le tout en un style d'écriture captivant. Dans ces premières dizaines de pages, Jean-Louis Tallon plante le décor, mouvant, en abordant la généalogie du futur compositeur et ses années de formation, en exposant des lieux, des villes, des ambiances natives.
La précision et l'intensité dans l'exposé de la documentation et des faits sont maintenues tout au long de l'ouvrage. Jean-Louis Tallon relate, dans un style absolument captivant, la biographie, les oeuvres, les créations et les publications discographiques de Terry Riley, dans toutes leur densité et leurs détails. Il y a des hommes et des femmes. La rencontre avec Ann Smith, en cours de psychologie en 1956 (page 36), qui devient Ann Riley en 1958 et sera un soutien indéfectible jusqu'à son décès en 2015. Il y a la rencontre avec La Monte Young en 1959, avec la chorégraphe Anna Halprin en 1960. Il y a Daevid Allen et Robert Wyatt à Paris en 1962. Tous les faits passionnants que relate l'ouvrage sont étayés. Notons au passage l'anecdote incroyable de l'australien Daevid Allen, futur fondateur de Gong, qui a alors cédé, en 1962, son job alimentaire de vendeur du New York Herald Tribune à Terry Riley.
Il y a évidemment le San Francisco Tape Music Center et la création de In C en 1964. Il y a les premiers liens tissés avec Pandit Pran Nath dans les années 1967-1969, le professorat de Terry Riley du chant raga Kirana de 1971 à 1981 au Mills College d'Oakland. Il y a son installation au Shri Moonshine Ranch en 1974. Il y le dépassement des réticences de Terry Riley à composer de manière "classique", en dehors de sa pratique de l'improvisation, pour le Kronos Quartet en 1979, dépassement qui débouche sur une collaboration sur plusieurs décennies. Il y a sa participation au Festival MANCA dans les années 1992 à 1998, sous l'impulsion de Michel Redolfi, qui mènera à la publication de l'un des albums les plus personnels et hybrides de Terry Riley, Atlantis Nath en 2002, sur son propre label Sri Moonshine. Il y a son installation au Japon à l'époque du Covid...
Qui connaît déjà la biographie de Terry Riley en apprendra bien plus que ce qu'il ne pouvait espérer. Terry Riley. Figure libre de Jean-Louis Tallon, aux éditions Le mot et le reste, est un must have inconditionnel.
En ce jour d'août 2025, où cette chronique est écrite, cet ouvrage est LE livre de l'année 2025 pour Néosphères. S'il n'est pas disponible en rayon en votre librairie habituelle, déposez votre commande pour en faire l'acquisition, Les Yeux Fermés.