Quinze ans après One Hour (Gyroscope, 1994) Cluster, la légende de l'électronique allemande saluée par Brian Eno, David Bowie et The Edge de U2, sort un nouvel album studio. Hans-Joachim Roedelius et Dieter Moebius ont enregistré fin 2008 la matière de l'album Qua, dix-sept titres pour une durée totale de cinquante-quatre minutes. Ils ne se sont pas laissé aller à la facilité, poursuivant une forme d'abstraction expressive dont ils détiennent le secret. Les sonorités ont suivi l'évolution des techniques et sont donc issues d'une infinie palette électronique, du vintage au digital. Cluster trouve même en Tim Story (déjà à la production pour Errata d'A.R.S. et Live at the Zodiak - Berlin 1968 de Human Being), un allié habile saisissant le juste équilibre entre la technicité de pointe et leur démarche musicale d'éternels autodidactes, celle qui les conduit à triturer naïvement des sons que des "professionnels" jetteraient au rebut.
Tous les éléments d'antan sont présents : rythmes semblant suivre la trajectoire imprévisible d'un ballon de rugby, mélodies poétiques, sonorités étranges marquées du sceau rastakraut. On identifie ici et là des sons tirés de cuivres, réels ou virtuels, notamment sur le très indus Flutful ou bien une saturation de guitare sur Diagon. Les titres sont souvent très courts, plusieurs faisant moins de deux minutes. Lorsqu'une trouvaille mélodique et rythmique est captée, nul besoin de la réitérer ad vitam æternam si elle s'apprécie dans sa concision. Ils égrainent aussi des morceaux nettement plus longs lorsque la matière musicale le leur dicte. Pendant presque sept minutes pour Gissander, peut-être l'un des plus belles créations produites par Cluster, indescriptible suspension sonore à base de tintements répétitifs et de glissandi de sources non identifiées. D'autres titres se révèlent tout aussi captivants dès les premières écoutes, notamment Na Ernel et ses quatre minutes d'électro espiègle sur un fond synthétique évoquant Giorgio Moroder, Stenthin et Formalt et leurs triturations fascinantes, ou encore Imterion épilogue plaintif aux allures d'adagio pour cordes cybernétiques.
Qua, illustré par une très belle pochette conçue par Dieter Moebius et Tim Story, manque parfois un peu de hardiesse, mais certainement pas de richesse. Il montre un Cluster assumant délibérément une esthétique sans équivalent, alliant beauté, poésie et complexité. Qua est un nouveau classique de l'expérimentale allemande au même titre que le furent en leur temps Zuckerzeit et Sowiesoso, et il n'y aura que les nostalgiques aux oreilles paresseuses pour dire le contraire.
Qua est sorti sur le label Nepenthe Music aux Etats-Unis en 2009. Une édition européenne a suvi, en 2010, sur Klangbad. L'album a été réédité en CD et vinyle par Bureau B en 2017.