Plus de quarante ans après, voici sur disque un live du collectif antédiluvien Human Being, enregistré en été 1968 au Zodiak de Berlin. Le Zodiak Club ou Zodiak Free Arts Lab venait alors d'être ouvert par Conrad Schnitzler. Durant deux années environ y passèrent de nombreux collectifs : Geraüsche, Human Being, les premières moutures de Tangerine Dream, Ash Ra Temple, Agitation Free, Guru Guru, Psy Free de Klaus Schulze...
Il s'agit sans doute là de la trace enregistrée la plus reculée de cet underground berlinois qui sera révélé quelques années plus tard sous le sobriquet de "Krautrock". En effet avant Cluster (avec Roedelius et Dieter Moebius en 1971), il y avait Kluster (avec Roedelius, Moebius et Conrad Schnitzler). Et avant Kluster il y avait donc, entre autres, Human Being avec, pour ce concert, Hans-Joachim Roedelius, Boris Schaak, Elke Lixfeld, Christoph Sievernich, Norbert Eisbrenner, Beatrix Rief, Verena Schirz et Broderick Price. Ce projet de publication était en gestation depuis 2004, sous la houlette de Dwight Ashley et Tim Story, avec qui Roedelius collabore depuis plusieurs années. Un premier extrait de ce live du Human Being figurait sur Roedelius Works 1968-2005, sorti en 2005, et laissait craindre un assaut bruitiste violent dans la lignée d'un free jazz électrifié, qui n'aurait pas été au-delà du seul intérêt historique.
La surprise est belle. Non seulement les tympans sont traités de façon décente, mais l'unique morceau de 56 minutes et 34 secondes propose un voyage intriguant, une poétique musicale qui vaut largement le premier Tangerine Dream, les albums de Kluster, et les pérégrinations cosmiques plus tardives de Tangerine Dream et Klaus Schulze. La plupart des membres du Human Being étaient "non-musiciens" mais communiaient avec une étonnante empathie à l'aide d'instruments à cordes électrifiés, orgues, instruments à vent, objets en tous genres et, surtout, selon le livret, en exploitant des appareillages, reverb, delay, échos et un sound system Dynacord de 400 watts. Quelques bribes de voix éparses interviennent.
Des passages entiers de cette improvisation dévident un psychédélisme froid. Lorsque de progressives montées d'adrénaline se font entendre, notamment à la guitare électrique et au violoncelle lui aussi électrifié, les musiciens ne s'abandonnent pas à des épanchements outrés mais vont au contraire contrôler le flux anxiogène, aller plus en avant dans l'expressivité. Un bruit de souffle, un crachotement assez perceptible n'entame pas le tableau et semble plutôt indiquer le gros travail accompli pour restituer l'enregistrement dans la limite de qualité qu'il était possible d'atteindre.