Cuneiform nous apporte (encore) de nouvelles archives consacrées à Soft Machine. Grides contient l'intégralité d'un concert donné par le groupe au prestigieux Concertgebouw d'Amsterdam le 25 octobre 1970, avec en bonus DVD la vidéo de leur passage dans la fameuse émission télé allemande The Beat Club le 23 mars 1971. Pour ces deux prestations la machine molle est constituée du quatuor "historique" Mike Ratledge / Hugh Hopper / Elton Dean / Robert Wyatt. La sortie de Grides succède (entre autres!) à celle de Virtually (Cuneiform, 1998), une prestation enregistrée au Gondel Filmkunst Theater de Brême, également le 23 mars 1971.
Bien-sûr on connaît depuis longtemps Live At The Proms (Reckless, 1988), enregistré au le 13 août 1970 au Royal Albert Hall ainsi que les archives des passages de Soft Machine à la BBC avec The Peel Sessions (Strange Fruit, 1991), et bien d'autres encore. Mais on ne peut qu'être aux aguets lors d'une nouvelle parution concernant ce groupe, qui a marqué au fer rouge l'histoire de la musique du XXème siècle. Grides a donc pour principal inconvénient d'arrivée après une flopée d'autres publications. Mais il a plus d'un atout, dont celui de disposer d'une excellente qualité sonore. On peut ainsi apprécier pleinement une fusion sonore toujours aussi phénoménale sur un répertoire démoniaque : l'intégralité de Third (dans des versions plus ramassées que sur l'album mais ayant beaucoup plus de relief), la quasi intégralité de Fourth, plus quelques autres pépites, notamment Neo-Caliban Grides, un thème d'Elton Dean, fortement déstructuré par lui-même et son compère Mike Ratledge. Aucun morceau qu'on ne connaît pas déjà sous une autre forme, mais dont les interprétations paraissent toujours aussi neuves et impressionnantes. Elton Dean occupe beaucoup le terrain avec un sax incandescent aux digressions free sensiblement coltraniennes. Il est talonné de près par Mike Ratledge et ses claviers rageurs et Hugh Hopper qui sort de sa basse des sonorités toujours aussi indescriptibles. Robert Wyatt, un peu en retrait à la batterie, habille le tout d'une pluie de paillettes percussives.
Et puis il y a cette vidéo filmée le 23 mars 1971. Son contenu musical était déjà disponible, à quelques choses près, sur d'autres supports, mais le contenu visuel était jusqu'ici (officiellement) inédit. Ces 20 minutes ne valent cependant pas à elles seules l'acquisition de Grides. On reconnaît la patte psychédélico-bariolée des artistes-vidéastes, également à l'uvre pour le fameux passage de Kraftwerk au Beat Club (le 22 mai 1971 pour être tout à fait exact). Les effets psychédéliques paraissent d'autant plus bizarres aujourd'hui qu'ils ont été digitalisés et "aplatis", au point que nos chers musiciens anglais semblent être des silhouettes découpées au laser et collées sur des fonds colorés rehaussés de surimpressions vidéo. Bizarres, mais cela ne nous empêche pas de voir le quatuor légendaire à l'uvre : ultra concentré pour interpréter son jazz postmoderne sans que l'on décèle aucun signe extérieur de satisfaction...
Le seul moment fort sur le plan strictement scénique est celui où Robert Wyatt improvise à la voix pendant quelques minutes. Il s'agit d'ailleurs, au passage, de sa seule intervention vocale sur Grides. Autre atout, le livret très étoffé. Il permet de replacer ces prestations dans leur contexte et apporte de nombreux éléments de comparaisons entre les différents concerts du groupe. Ainsi on apprend que les Softs ont donné seulement 9 concerts entre septembre et décembre 1970, dont 3 en Hollande. Et selon un article de Michael Watts paru à l'époque dans Melody Maker, celui d'Amsterdam fut de loin le meilleur des 3. Difficilement vérifiable aujourd'hui...
Grides est évidemment indispensable pour les accrocs de la machine molle et fortement recommandé pour qui veut faire un choix parmi toutes les références plus ou moins récemment éditées, notamment pour ceux qui n'ont pas The Peel Sessions et Virtually cités plus haut. Finalement Soft Machine prend le chemin des grandes légendes du Jazz. On pourra bientôt les suivre jour après jour dans leur pérégrinations scéniques, tel, par exemple, le sextet de Charles Mingus lors de sa tournée de 1964, dont justement l'étape au Concertgebouw d'Amsterdam est aussi l'une des plus recommandées. Mais Soft Machine a, toujours d'après le livret, près d'une centaine de concerts à son actif de 1969 à 1971. La source n'est pas prête de se tarir.